Deuxième épisode de notre série sur les arguments foireux des opposants à l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, aujourd'hui consacré à cette histoire de "rapport" de la Dreal dont la révélation par le Canard Enchaîné (que j'adore et que je lis toutes les semaines, bisous à eux) le 17 février 2016 sonnerait le glas du projet, en apportant la preuve définitive et incontestable de sa nocivité et de son inutilité. Sa publication a généré un tel buzz, que même 15 jours plus tard elle continue de tourner sur les rézosociaux. C'est bien simple, sur l'échelle du buzz qui va de 1 à 10, je pense que cette histoire mérite un 11.
Et que contient ce "rapport" ? Selon la Dreal,
"L'allongement de la piste de l'aéroport de Nantes-Atlantique ne présente pas de risque pour la faune de la réserve naturelle (du Lac de Grand-Lieu). Au contraire, elle garantit la préservation des zones humides qui participent à l'équilibre écologique de la réserve face à l'urbanisation de l'agglomération nantaise".
Aujourd'hui, déjà, "le trafic aérien n'a pas d'impact négatif. La faune de la réserve a intégré cette activité continue et routinière comme un élément à part entière de l'environnement du lac", écrit le chef du service ressources naturelles et paysages de la Dreal.
Donc nous avons là le "smoking gun", la pièce maîtresse qui montre que l'Etat a volontairement caché des informations en défaveur du projet d'aéroport, dans le cadre d'un vaste complot ourdi par les valets du capitalisme et les serial-bétonneurs de Vinci.
Sauf qu'en fait non. Explications.
Premier point : ce "rapport" n'en est pas un, d'où mes guillemets. En réalité il s'agit, non pas d'un rapport, encore moins d'une étude comme l'indique le Canard, mais d'une simple note de deux pages (autrement dit, une feuille à en-tête recto-verso, vous pouvez vérifier : c'est dans l'article). Un rapport ou une étude est quelque chose de structuré et de fouillé, avec des sources, des tables, des graphiques, etc., et croyez-moi ça fait bien plus que 2 pages même pour les sujets les plus simples. Rien qu'avec la page de garde, le résumé, les tables des matières/tableaux/figures, les références, les sources, etc., on atteint les 10 pages dans le meilleur des cas.
Voilà pour la forme, ce qui en soi n'invalide en rien son éventuel contenu, mais relativise sa portée. Maintenant, parlons un peu du fond.
De par sa nature et sa concision, une note ne saurait exprimer autre chose que l'avis de son rédacteur ou de celui ou ceux dont la note rapporte les propos. Ici il s'agit d'un fonctionnaire de la Dreal, qui est une administration régionale comme son nom l'indique, dont le titre est "chef du service ressources naturelles et paysages", On peut donc partir du principe qu'il sait de quoi il parle pour tout ce qui concerne les questions environnementales locales. Et dans le cas contraire, qu'il tient ses informations d'autres personnes compétentes dans le domaine. Il pourrait par exemple s'agir de Loïc Marion, chercheur au CNRS de Rennes et ancien directeur de la réserve naturelle du Lac de Grand-Lieu, qui s'exprimait dans des termes extrêmement similaires dans sa lettre adressée le 25 octobre 2015 au Premier ministre (lien vers PDF), tant sur l'impact actuel de l'aéroport que sur les menaces que son déménagement ferait peser sur la réserve. Publication qui avait elle aussi généré un certain buzz.
Le Lac de Grand-Lieu |
On a donc un ou plusieurs experts de la question environnementale qui donnent leur avis sur une question environnementale, fort bien et cela constitue un argument solide sur la question de savoir si l'aéroport ACTUEL impacte l'environnement autour d'une zone Natura 2000 (nous reviendrons là-dessus). En revanche, il me semble que ni l'auteur de la note de la Dreal ni Loïc Marion ne sont spécialistes en urbanisme. Donc quand ils affirment que le déménagement de Nantes-Atlantique vers Notre-Dame-des-Landes sonnerait le signal de départ de l'urbanisation autour du Lac de Grand-Lieu, cette affirmation a tout de l'argument d'autorité. Ce qui n'est pas le cas du maire de Saint-Aignan-de-Grand-Lieu, dont l'une des missions est justement de faire respecter les réglementations urbanistiques, quand il affirme le contraire :
Pour toutes ces raisons, le maire de Saingt-Aignan réfute la thèse selon laquelle le déménagement de l’aéroport de Nantes Atlantique se traduirait par une urbanisation et une imperméabilisation des terres « préjudiciable aux équilibres écologiques de la réserve ». « Nous le réfutons d’autant plus que les zones urbanisées de la commune ne peuvent pas s’étendre du fait des ENS (Espaces naturels sensibles) en rives du lac organisés depuis 1996, et des EPR (Espaces proches du rivage) issus de la loi Littoral ».Entre un expert de l'environnement et un expert de l'urbanisme qui se prononcent tous deux sur une question d'urbanisme, qui doit-on prendre le plus au sérieux ? Avantage au maire de Saint-Aignan sur la question, il n'y a aucune raison d'affirmer que le déménagement de l'aéroport mettrait fin aux réglementations qui protègent déjà les abords du lac de l'urbanisation et de l'artificialisation des sols.
Donc en gros, l'essentiel qu'on doit retenir de cette note, qui ne traite que de l'aéroport actuel et pas du projet d'AGO, est que celui-ci ne menace pas l'environnement fragile d'une zone Natura 2000, même en cas d'allongement de la piste (hein ?). Or voici ce que retient le WWF de cette note :
Ici on est en plein non sequitur. Il faut croire que personne, pas même les meilleurs, n'est à l'abri des sophismes les plus basiques. On passe de l'affirmation "NTE n'a pas d'impact écologique majeur" à "NDDL est une aberration écologique". Sublime. Soit dit en passant, si un aéroport jouxtant immédiatement un écosystème fragile n'a pas d'impact sur celui-ci, et au contraire le "protège", pourquoi n'en serait-il pas de même avec d'autres aéroports, existants où à construire ? Avec cet argument on frise les limites de l'absurde.Un "rapport confidentiel" de la #DREAL montre que #NDDL serait une aberration écologique #WWFFactchecking pic.twitter.com/kc9labI00W— WWF France (@WWFFrance) 18 février 2016
Mais attendez, il y a mieux ! La note de la Dreal évalue l' "impact de l'allongement de la piste de l'aéroport de Nantes-Atlantique sur la RNN de Grand-Lieu et les zones humides périphériques" et conclut à un "impact très minime en comparaison de ceux issus de l'urbanisation prévisible des zones humides aujourd'hui préservées". Déjà, ça ne veut pas dire zéro impact, mais seulement un impact inférieur à des menaces dont nous venons de juger du caractère hypothétique, on est donc loin du "pas d'impact" avancé par certains opposants. Mais surtout, qui aujourd'hui propose d'allonger la piste de NTE ? Absolument personne ! Au contraire, non seulement les opposants affirment que la piste actuelle est bien suffisante pour accueillir tous types d'avions même les plus gros (ce qui est sans doute le cas), mais de plus proposent pour régler le problème principal de cette dernière, à savoir son orientation nord-sud alignée sur le cœur de l'agglomération nantaise, un projet alternatif de nouvelle piste est-ouest (projet qui fera l'objet d'un article dédié).
En conclusion, nous avons là un rapport qui n'en est pas un, qui évalue l'impact écologique d'un projet que personne n'envisage (et pour cause vu qu'il ne règle aucun des problèmes de l'aéroport actuel), qui cumule argument d'autorité et pente glissante sur la question urbanistique, qui est instrumentalisé pour juger de la pertinence et de l'impact d'un projet dont il ne traite absolument pas, et dont on gonfle l'importance pour alimenter une théorie du complot au plus haut sommet de l'Etat à grands coups de sophismes. Une petite note sur NTE est devenu un rapport à charge contre NDDL. Bref, un magnifique mensonge.
Sur l'échelle du bullshit qui va de 1 à 10, je pense que cette histoire mérite un 11.
Mise à jour 10/03/2016 : Merci à Bertrand L. pour l'info sur le PDF du rapport, que je copie ici-même :